9 octobre 2025

Temps de lecture : 4 min

Quand Les Watch Parties rebattent les cartes en pensant l’événement collectif à l’ère du streaming

En marge des happy fews invités aux défilés de la Fashion Week ou bien aux compétitions sportives, d’autres communautés s’organisent autour de Watch Parties. Une nouvelle expérience de la rencontre affinitaire qui devrait s’installer dans le paysage événementiel.

©Lyas

Paris, le 29 septembre au soir. La Caserne, incubateur de la filière mode installé dans le Xe arrondissement, tient pleinement sa promesse d’être un lieu de vie où chacun est le bienvenu. En pleine effervescence de la Fashion Week parisienne, l’espace s’est métamorphosé, le temps d’une soirée, en un nouveau place to be pour les passionnés de mode. Face à un MacBook géant faisant office d’écran, les invités ont assisté au défilé Saint Laurent retransmis en direct, commenté avec verve et spontanéité par l’instigateur de cette watch party, l’influenceur Lyas, connu pour ses décryptages aussi francs que décontractés.

Une nouvelle manière de consommer l’événement 

Ce dernier n’en est pas à son premier coup d’essai, 350 personnes ayant répondu précédemment à son invitation à suivre sur écran un défilé dans un café. A La Caserne, ils seront dix fois plus nombreux – étudiants, fans et pros de fashion ou simples curieux – à rejoindre le jeune trublion de la mode. “Nous arrivons à réunir des passionnés de ce milieu de la mode qui est très élitiste et dont ils sont exclus. On les inclut, on leur offre un endroit où ils peuvent échanger, parler, et dire librement s’ils aiment ou non un défilé.” témoignait Lyas sur le plateau de Quotidien. Depuis, La Caserne et le Macbook de Lyas ont vu défiler Dior, Isabel Marant, Jean-Paul Gaultier et Chanel. 

Ces Watch Parties marquent l’essor d’une nouvelle façon de consommer l’événement, entre spectacle vivant et streaming collectif, dans un esprit plus démocratique donc. Bien sûr, les défilés de mode, avec leurs catwalks et ballets de célébrités, continuent de fasciner le public. Mais ceux-ci se vivent désormais aussi à distance, en communauté. D’ailleurs, de nombreuses maisons retransmettent leurs shows en direct et invitent leurs clients, leurs fans ou leurs partenaires à les suivre ensemble, dans une boutique, un bar-PMU, un cinéma ou simplement en ligne depuis leurs réseaux sociaux. 

Le sport, précurseur du phénomène Watch Parties 

L’idée n’est pourtant pas récente. Depuis longtemps, les amateurs de sport se rassemblent lors de Viewing Parties pour regarder ensemble un match décisif, dans un bar ou sur un écran géant installé en ville. Mais le confinement de 2020 a joué un rôle de catalyseur. Twitch a lancé alors sa fonctionnalité de Watch Parties, adossée au catalogue Prime Video, tandis qu’une extension de navigateur baptisée Netflix Party, vite rebaptisée Teleparty, permettait à des groupes d’amis de synchroniser la lecture d’un programme et de discuter en direct. La pandémie passée, l’habitude est restée, même si certaines plateformes ont depuis retiré ces outils. Le réflexe de co-watching s’est néanmoins installé, nourri par Discord, YouTube Live ou encore les fonctions interactives de Zoom.

Très vite, les communautés ont fait de ce format un terrain de jeu à part entière. Dans le sport, il est désormais impensable d’organiser une grande compétition sans fan zones ou viewing parties. L’Euro 2024 en Allemagne a confirmé cette tendance en attirant des milliers de spectateurs devant des écrans géants installés dans les villes hôtes. Tout comme les JOP Paris 2024, depuis les fan zones outdoor ou encore le Clubhouse 24 et le Club France. Aux États-Unis, les franchises de NBA vendent désormais des billets pour assister, dans leur propre arena, aux matchs disputés à l’extérieur, recréant l’atmosphère d’un stade sans l’équipe sur le terrain. 

La musique suit la même logique. En 2020, le groupe sud-coréen de K-pop BTS battait des records avec plus de 750 000 spectateurs connectés simultanément à son concert en streaming. Depuis, labels et plateformes multiplient ces expériences, parfois en les hybridant avec des rassemblements physiques de fans. L’Eurovision, événement communautaire par excellence, s’accompagne chaque année d’une myriade de soirées organisées par des associations, des clubs ou des médias, où l’on se retrouve pour chanter, voter et débattre.

Une réponse simple à des aspirations affinitaires 

La mode, elle aussi, a rapidement compris l’intérêt de ces formats pour élargir son audience et renforcer son aura. Les retransmissions de défilés ne se limitent donc plus au streaming passif. Elles deviennent de véritables expériences collectives, parfois mises en scène dans des concept stores ou des cinémas partenaires, parfois confiées à des créateurs de contenu chargés de commenter le show en direct. Ainsi, le lien communautaire avec la marque est nourri en transformant un défilé exclusif en rendez-vous partagé.

Le gaming et l’e-sport se sont également approprié le modèle. Les finales mondiales sont commentées en direct par des streamers stars qui rassemblent des communautés gigantesques. Les “watch-alongs” se multiplient, parfois sans flux vidéo, avec seulement les réactions de l’animateur et du chat pour recréer l’émotion collective. Dans le monde corporate aussi, l’idée fait son chemin. Des entreprises organisent désormais des lancements de produits ou des annonces stratégiques simultanément dans plusieurs lieux, qu’il s’agisse de salles de cinéma, de bureaux ou de tiers-lieux, afin de renforcer la dimension communautaire d’une prise de parole.

©Washington Justice watch party 2019

Démocratisation et élargissement des audiences 

Ces formats ne se développent pas au hasard. Ils répondent à des besoins clairs, à savoir élargir l’audience au-delà du cercle restreint des invités, créer un sentiment d’appartenance, générer du contenu social et, dans certains cas, monétiser l’expérience. Billetterie, restauration, merchandising ou sponsoring permettent de rentabiliser des soirées de visionnage qui ressemblent de plus en plus à de vrais événements. La contrepartie, ce sont les contraintes juridiques liées aux droits de diffusion, la qualité technique qu’il faut assurer, le respect des règles des établissements accueillant du public, et la vigilance nécessaire face à une possible saturation du public, sollicité de toutes parts par des offres de live.

Des “contre-événements” échappant à toutes règles ? 

Alors faut-il pour autant considérer les Watch Parties comme de simples extensions d’événements, ou bien comme des contre-événements à part entière ? D’un côté, les fan zones de l’Euro, les diffusions NBA dans les arenas ou les retransmissions de défilés par les maisons relèvent d’une stratégie parfaitement officialisée, pensée pour amplifier la portée de l’événement originel. De l’autre, nombre de soirées naissent dans des bars, des associations ou sur Discord, sans aval des organisateurs. Elles donc s’émancipent de la mise en scène officielle et créent leur propre ambiance, parfois festive, parfois critique, souvent détournée. Elles illustrent alors une forme de réappropriation par le public, qui construit son propre récit parallèle.

Qu’elles soient des relais officiels, maîtrisées par les marques et les diffuseurs, ou bien des events hors-cadres inventés par les communautés, les Watch Parties rappellent que l’événement n’est plus un moment monolithique mais un écosystème vivant, composé d’une expérience centrale et de ses répliques, officielles ou dissidentes. Et qu’à l’heure du streaming et des réseaux sociaux, l’envie de se rassembler pour regarder ensemble reste intacte, quitte à inventer de nouvelles formes de convivialité.

À retenir

Quid des droits de retransmission ?

Les Watch Parties soulèvent la question des droits de diffusion. Organiser une retransmission publique d’un contenu audiovisuel suppose en principe une autorisation expresse des ayants droit, qu’il s’agisse d’une maison de couture, d’une ligue sportive, d’un label musical ou d’un studio. C’est pourquoi les fan zones sportives ou les viewing parties NBA sont encadrées contractuellement et souvent sponsorisées.
Dans le cas des initiatives communautaires, la frontière est plus floue. Regarder un épisode de série en ligne avec des amis via une extension comme Teleparty relève encore de l’usage privé. Mais dès qu’il s’agit d’un rassemblement dans un bar, un cinéma ou un tiers-lieu, on entre dans le champ de la “communication au public” au sens du droit d’auteur. Des licences doivent alors être négociées, faute de quoi l’événement peut se trouver dans une zone grise, tolérée mais non officielle.
Certaines plateformes ont tenté de simplifier la situation. Ainsi, Amazon Prime Video, via Twitch, avait intégré la fonction Watch Party en 2020, avant de la supprimer en 2024 faute d’adoption massive. Disney+ a testé un temps GroupWatch. Apple propose SharePlay, limité à l’écosystème iOS. Mais dans la plupart des cas, les organisateurs doivent composer avec un cadre juridique encore fragmenté. En résumé, sans droit clair, pas de diffusion sereine.

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