Comment les événements participent à l’écriture du récit national

« Moment historique. Ensemble, nous avons rebâti Notre-Dame. Cœur de Paris. Âme de la France. Joyau de l’humanité ». Ce sont les mots d’Emmanuel Macron diffusés sur son compte Instagram, le samedi 7 décembre 2024, premier jour des cérémonies de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, après cinq années de travaux. Ce sont les agences PublicisLive Paris et Publicis Consultants (dans le cadre d’un mécénat de compétences) qui ont orchestré ces cérémonies, aux côtés du diocèse de Paris et l’Établissement Public « Rebâtir Notre-Dame ». « Un projet d’envergure au croisement de l’événementiel, de la production audiovisuelle et artistique, et de l’influence », indique dans son communiqué PublicisLive Paris. 

Des cérémonies inscrites en plusieurs temps. Un temps républicain avec le discours du président de la République (initialement prévu sur le parvis de la cathédrale), un temps ecclésiastique (prière du soir, rituel du réveil de l’orgue et deux messes le 8 décembre) et un temps planétaire à travers la diffusion en mondovision de la renaissance de l’édifice (cérémonies, concerts…). En d’autres termes, « un sujet religieux, un projet français, une histoire universelle », selon les mots dans la presse de Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire du chef de l’État. Ces cérémonies ont mis en lumière Notre-Dame comme un symbole fort de l’histoire de France et de l’imaginaire collectif. La cathédrale, témoin des grands événements de la France et immortalisée par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris, a ainsi été au cœur d’un récit qui mêle mémoire nationale et patrimoine universel. La diffusion de ces événements à l’échelle internationale a également renforcé l’image de la France comme gardienne d’un héritage culturel mondial.

©PublicisLive Paris 

Quels événements mémoriels ?

L’histoire en témoigne au fil des siècles et aujourd’hui, les événements jouent un rôle essentiel dans la construction du récit collectif d’une société, ils permettent de célébrer, rassembler et mobiliser. « Les événements, qu’ils soient commémoratifs, célébratifs ou constitutifs, sont des outils puissants pour renforcer le récit collectif. Mais cette puissance doit être utilisée avec éthique et inclusivité, afin de garantir que ces moments restent vivants, transformateurs et ouverts à tous », expose Bertrand Biard, vice-président Attractivité et Engagements du WMH Project. Des événements en nombre qui ponctuent le calendrier annuel du pays. Arrêtons-nous sur le volet commémoratif. C’est l’Institut de France qui assure la mission des commémorations via son service France Mémoire, indépendant du gouvernement. Ce dernier établit chaque année un calendrier d’anniversaires (personnalités, œuvres, événements marquants l’histoire de France) mais tous ne font pas l’objet d’une cérémonie nationale sur ordre du Gouvernement ou à l’initiative d’une autorité publique. 

Toujours est-il que l’année 2024 fut marquée par plusieurs temps forts : les commémorations de l’anniversaire du débarquement sur les plages de Normandie ou celles de la Résistance dans le Vercors à l’occasion des 80 ans de la Libération et l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian, deux figures de la lutte pour la liberté (21 février 2024). L’historien Nicolas Offenstadt disait au micro de France Inter (juillet 2024) combien ces commémorations (grandes dates de l’histoire) sont importantes et entretiennent notre cohésion culturelle : « Il n’y a pas de nation, de société qui peut se construire sans travailler, valoriser son passé. Il s’agit de développer un discours sur l’histoire, sur le commun à partir du passé. »

© Shorcut Events 

Quelles expertises ?

Comment transformer ces faits historiques en récit partagé ? Comment l’événementiel participe à la construction de l’écriture de ce récit ? Les agences événementielles possèdent une réelle expertise pour organiser ces événements commémoratifs d’envergure nationale ou internationale à forte dimension protocolaire. « Ces événements, marqués par une forte dimension protocolaire et une coordination rigoureuse avec les autorités publiques et les parties prenantes, nécessitent une scénographie qui reflète à la fois la solennité et la gravité des commémorations, tout en honorant les mémoires, les grands Hommes ou Femmes, les héros et les valeurs collectives de la République. Ils s’adressent à toutes les générations en donnant une portée universelle au message grâce à des témoignages, des récits historiques, et des dispositifs immersifs ancrant l’Histoire dans le présent », explique Christophe Pinguet, co-président de l’agence Shortcut Events – qui a réalisé de nombreuses cérémonies de panthéonisation – « perçoit la mise en scène du récit national comme un exercice à la fois artistique, historique et symbolique, mais aussi pédagogique nécessitant une connaissance pointue des sujets qui lui sont confiés, et du fonctionnement des instances officielles qui ont leurs impératifs pour la parole publique – dans le plus joli sens du mot – et mémoriels ». Ce que partage Béatrix Mourer, co-fondatrice et directrice de la création de Magic Garden qui a œuvré pour la Cérémonie internationale du 70^e anniversaire du débarquement de Normandie (6 juin 2014). « L’idée était de participer à la construction de l’identité collective, de renforcer le sentiment d’appartenance et de raconter l’histoire du débarquement de manière pédagogique. L’enjeu de l’événement était de parler aussi aux jeunes générations ».

© Shorcut Events 

Une approche historique et culturelle

Au-delà de la maîtrise du protocole, de la gestion technique et logistique (complexe en raison notamment de la présence d’invités de haut rang requérant une coordination des services de sécurité), toute la difficulté de l’exercice est d’intégrer une approche à la fois historique et culturelle pour construire un récit destiné à différents publics. Cette démarche nécessite une collaboration étroite avec des historiens, des experts, des institutions afin de garantir un contenu fidèle à l’histoire et aux valeurs qu’il incarne. Ce contenu sert ensuite de base à la dimension créative, permettant de développer une scénographie qui reflète à la fois la solennité des commémorations mais aussi donne vie à l’événement en s’adressant à tous les publics, toutes les générations à travers des témoignages, des images, des récits, des dispositifs immersifs, de la musique… « Après la notification d’un marché, dès les premières phases, nous collaborons étroitement avec les instances en charge du contenu, pour garantir l’authenticité et la précision des récits. Nous transformons ces éléments historiques en expériences immersives et émotionnelles grâce à une équipe pluridisciplinaire d’experts – historiens, scénographes, compositeurs et consultants en patrimoine – afin de toucher un large public, des décideurs institutionnels aux jeunes générations », développe Lionel Laval, co-président de Shortcut Events. Pour toucher les jeunes générations lors de la commémoration du 70e anniversaire du Débarquement en Normandie, Magic Garden a ainsi « pris le parti pour certains actes comme la scène du débarquement d’utiliser des codes contemporains à travers une chorégraphie très moderne avec des danseurs venant du hip hop et des costumes intemporels pour créer le lien entre hier et aujourd’hui », indique Béatrix Mourer.

Ces dernières années ont montré combien la conception et la production de ces événements commémoratifs ont évolué en suivant les transformations de notre société. Que ce soit par une scénographie plus élaborée et événementialisée pour toucher notamment les jeunes générations, le recours accru à l’innovation technologique (mise en lumière, dispositif immersif…), la prise en compte des problématiques de RSE (inclusivité, développement durable…) et une diffusion plus large (réseaux sociaux, dimension internationale…). « Ces cérémonies s’inscrivent désormais dans une dimension internationale, favorisant les valeurs universelles et les liens entre nations. Nos valeurs : Liberté, Égalité, Fraternité sont mises à l’honneur. En équilibrant solennité et accessibilité, ces événements modernisent leur mise en scène tout en respectant l’Histoire, et adoptent aussi des pratiques éco-responsables pour répondre aux attentes éthiques contemporaines », déclare Christophe Pinguet. D’autant plus dans un environnement de plus en plus fracturé, il s’agit bien de construire un récit qui inclut, interroge et rassemble.